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(image Pixabay anaterate).

Une étude épidémiologique qui a fait parler d’elle

Les 22 et 23 octobre 2018, la plupart des médias français se sont fait l’écho d’une étude dont les résultats médiatisés étaient que « l’alimentation bio réduit significativement les risques de cancer ». Cette étude[1], réalisée sur près de 70.000 personnes volontaires par une équipe de l’Institut National de la Recherche Agronomique français (INRA), venait en effet d’être publiée dans la revue JAMA Internal Medicine (JAMA signifiant Journal of the American Medical Association). Ces volontaires, suivis entre 2009 et 2016, avaient été classés en quatre groupes, allant de « gros consommateurs d’aliments bio » (avec plus de 50 % de leur alimentation en bio) à ceux qui n’en consomment quasiment jamais, en passant par ceux qui ne le font que de manière occasionnelle.

La conclusion de cette étude était de fait que les personnes consommant au moins la moitié de leur alimentation en bio voient leur risque d’avoir un cancer diminué de 25 % par rapport à ceux qui en consomment le moins. Avec une réduction du risque allant jusqu’à 34 % pour les cancers du sein post-ménopause et même 76 % pour les lymphomes (un cancer du sang).

[1] “The frequency of organic food consumption is inversely associated with cancer risk: results from the NutriNet-Santé prospective Cohort”. JAMA Internal Medicine. 22 octobre 2018.

« Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces données : la présence de résidus de pesticides synthétiques beaucoup plus fréquente et à des doses plus élevées dans les aliments issus d’une agriculture conventionnelle, comparés aux aliments bio. Autre explication possible : des teneurs potentiellement plus élevées en certains micronutriments (antioxydants caroténoïdes, polyphénols, vitamine C ou profils d’acides gras plus bénéfiques) dans les aliments bio », selon l’équipe de recherche[2]. Commentant ces résultats dans le journal Le Monde, l’épidémiologiste Philip Landrigan (du Boston College aux USA), qui n’a pas participé à l’étude, a souligné que « l’une des grandes forces de ces conclusions est qu’elles sont largement cohérentes avec les résultats des études menées sur les expositions professionnelles aux pesticides. Cela renforce grandement la plausibilité d’un lien entre l’effet mis en évidence et la présence de résidus de pesticides dans l’alimentation ».

Certains commentateurs ont néanmoins rappelé qu’il ne fallait pas confondre « corrélation » (ce qui est le cas ici) avec « lien de cause à effet » (qui reste à démontrer), et qu’il s’avère que les consommateurs bio les plus assidus ont par ailleurs globalement une meilleure hygiène vie, ce qui n’est sans doute pas sans incidence sur les résultats de l’étude. Dont acte, à n’en pas douter. Mais il n’en demeure pas moins que, justement, consommer bio participe, de façon de plus en plus démontrée, à une meilleure santé et à une diminution des risques de nombre de maladies.

Des consommateurs « non bio » qui restent à convaincre

Ce qui nous interpelle, ce sont les réactions de certains consommateurs interrogés par les médias lors des reportages consacrés à la publication des résultats de cette étude, réactions qui nous inspirent notre image, cité en introduction, du « verre à moitié plein ».

 

« De toute façon, même dans les aliments bio, il y a des produits chimiques ! » (image Pixabay larsen9236).

Ainsi, au journal télévisé de France 2, une dame très « BCBG », interrogée sur un marché, a répondu que de tels résultats n’étaient « pas possibles » et qu’elle n’y « croit pas ». Plus étonnant, et même attristant, un monsieur d’âge mur, questionné visiblement à la sortie d’un… magasin bio, tout en apprenant semble-t-il avec satisfaction les conclusions de l’étude, a néanmoins précisé : « Mais de toute façon, il y a des produits chimiques même dans les aliments bio » ! Apparemment, bien que consommateur bio, ce monsieur affiche des convictions qui mériteraient d’être encouragées.

Sur France Inter, traitant le sujet sur un mode plus léger, l’humoriste Guillaume Meurice a illustré sa chronique en donnant brièvement la parole à des « anti-nourriture bio » (sic) interrogés sur un marché parisien. Car il reste, ne nous voilons pas la face, un grand nombre de consommateurs que les produits bio n’intéressent pas outre mesure. Et pas seulement parce qu’un des freins à l’achat est le fait que ces produits bio sont en général plus chers que les aliments conventionnels.

Parmi les personnes interrogées, un maraîcher (non bio…) dudit marché, évoque en effet ses doutes en expliquant : « Pour moi, le [vrai] bio c’est sans engrais. Parce qu’ils mettent de l’engrais bio, ils mettent de l’engrais quand même… Et il ne peut pas y avoir de produits bio, car l’eau n’est pas bio ! ». Un autre monsieur, apparemment d’un certain âge, a marqué son indifférence au bio en disant : « Je ne me sens absolument pas concerné. Il n’y avait pas de bio du tout pendant la guerre, et on a survécu ! ».

 

« Il n’y avait pas de bio pendant la guerre et on a survécu ! » (image Pixabay RitaE).

Une jeune fille déclare quant à elle : « Le Bio c’est de la c…. Je n’y crois pas du tout. De toute façon, je vais bien ! »… Comme si les produits bio étaient réservés aux gens malades ! Et alors que le journaliste lui fait remarquer qu’il y a cette étude « qui montre que les gens qui mangent bio ont moins de chance de développer un cancer que les autres », elle n’hésite pas à répondre : « Franchement je n’y crois pas du tout à ça. Franchement je vais bien ». « Mais c’est peut-être à long terme que ça se joue », fait remarquer le journaliste. « Moi je n’y crois pas à cela, répond-elle. – Même si les scientifiques le disent ? – Oui mais bon. Je trouve que c’est de la manipulation, c’est tout… ». Un « complot bio » en somme !

 

« Les études scientifiques, c’est de la manipulation, c’est tout ! » (image Pixabay Victoria_Borodinova)

Enfin, une dame d’âge mûr : « Je fais partie des gens qui résistent encore au bio. J’ai 63 ans, je me dis que j’en ai [encore] pour 10 ou 15 ans… Alors laissez-moi bouffer du non-bio s’il vous plaît. Ecoutez, ça va, regardez : père breton, mère polonaise… tout va bien. […] Je ne suis jamais malade ! Je connais mes petits producteurs, je ne leur demande pas "C’est bio ?" ».

Certes, de nombreux reportages vus alors sur les chaînes télévisées ont aussi (et surtout) montré des consommateurs convaincus et ravis de manger bio. Mais il ne faut pas oublier pour autant les « non convaincus » (et il y en a aussi parmi les acteurs politiques, élus ou fonctionnaires, ce qu’il ne faut pas oublier) qui sont un frein au développement de la bio.

 

« Laissez-moi bouffer non-bio. Regardez-moi, tout va bien. Je ne suis jamais malade » (image Pixabay rawpixel).

Il reste un gros travail d’éducation à faire

En sortant du « petit monde » des consommateurs bio convaincus (les 8,4 milliards d’euros évoqués plus haut ne représentent en fait que… 4,4 % de la consommation alimentaire française !) et en interrogeant ces innombrables Français qui ne fréquentent pas assidûment les magasins spécialisés, on tombera inévitablement sur de telles réactions négatives, voire parfois violentes, à l’égard de la Bio.

Pourquoi ? De toute évidence l’agriculture bio, mais aussi l’industrie alimentaire (et cosmétique !) bio est encore très mal comprise et connue. Pour beaucoup, le bio c’est juste du « sans pesticides » ou encore « sans parabens, sans phtalates, sans perturbateurs endocriniens… ». Et, « puisque je ne suis pas malade, pourquoi changer mes habitudes ? ». Ou à la rigueur pourquoi pas, mais « je ne veux pas le payer plus cher, et donc je vais aller acheter mes produits bio dans les grandes surfaces, ou dans les nouveaux magasins bio qu’ouvrent actuellement les enseignes de grandes surfaces » pour qui le bio « c’est d’abord un prix », un prix bas bien sûr. Quitte à oublier qu’à la pause café, avec les collègues de travail, on a compati avec tristesse sur les « pauvres agriculteurs étranglés par la grande distribution »… et qui ne vont pas se priver de faire pareil avec les producteurs et transformateurs bio.

Pour conquérir de nouveaux clients fidèles, le monde de la bio (fabricants, distributeurs historiques) et ses « amis » (médias, blogueurs et blogueuses…) doivent impérativement recentrer le débat. A savoir que la Bio n’a pas de prix (bas), mais un coût. Un coût qui permet de rémunérer équitablement tous les acteurs de la chaîne, en commençant par les producteurs, et ainsi de soutenir l’économie locale (et souvent rurale, débat très actuel fin 2018). Il faut aussi rappeler que la Bio a bien d’autres vertus, comme celle – sous-entendue dans l’étude de l’INRA – d’être un des éléments d’une vie globalement plus équilibrée et plus saine. Soutenir cette facette passe, pour les fabricants et leurs distributeurs, par l’apport de vrais conseils, par une proximité humaine avec les consommateurs. Il faut aussi rappeler aussi que la Bio participe au maintien de la biodiversité, à la préservation de l’environnement, qu’elle utilise les ressources de façon durable, etc.

La Bio ne peut pas être résumée à du « sans… » et à « je la vends moins cher que mon concurrent » (en faisant pression sur les fournisseurs et les producteurs) ou - pour les consommateurs - à « j’achète le bio le moins cher possible sans me préoccuper de où, comment et par qui cela a été produit ».

A l’heure où, encore une fois, la grande distribution s’est lancée dans une lourde offensive pour conquérir une nouvelle clientèle (sans doute pas par conviction mais uniquement par intérêt commercial) et pour détourner celle, existante, du circuit spécialisé, les acteurs historiques (producteurs, fabricants et distributeurs) doivent se recentrer sur les valeurs de la bio, les faire connaître, en démontrer l’intérêt à court, moyen et long terme. Le circuit des magasins dits « spécialisés » doit d’urgence se « respécialiser », pour reprendre l’expression employée par le fondateur d’une jeune société de distribution de produits bio, qui a fait le choix de mettre à son catalogue uniquement des « jeunes pousses » (ou start-ups…) qui innovent en bio, avec de vraies et belles bonnes idées.

Ce n’est pas en se lançant dans une course au prix que les magasins qui ont « fait » la Bio gagneront la bataille contre la grande distribution. Une telle bataille est perdue d’avance. Les armes à utiliser, c’est bel et bien de défendre, d’afficher et d’expliquer les valeurs qui ont fait la bio : toutes ses valeurs et tous ses bénéfices, individuels et collectifs. Avec un discours ferme et étayé, mais sans verser dans la caricature ou le « militantisme caricatural », ce qui ne pourra être que contre-productif. Et il y assez de marques bio séduisantes, innovantes et même inventives pour offrir un assortiment différent de celui des grandes surfaces, et qualitativement supérieur. Pour qu’il n’y ait plus de consommateurs qui « résistent au bio » et qui ne se sentent « pas concernés », et que leur choix se tourne vers la Bio porteuse de valeurs.

[1] “The frequency of organic food consumption is inversely associated with cancer risk: results from the NutriNet-Santé prospective Cohort”. JAMA Internal Medicine. 22 octobre 2018.

[2] http://presse.inra.fr/Communiques-de-presse/Moins-de-cancers-chez-les-consommateurs-d-aliments-bio


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